Hommage à Lilia Ben Salem
تكريم لليليا بن سالم
Hommage à Lilia Ben Salem
Quand
À l'initiative de ses collègues et de ses étudiants, une rencontre est prévue pour rendre hommage à la sociologue tunisienne en présence de sa fille, à travers des interventions et la projection d'un film.
Lilia Ben Salem est une sociologue tunisienne de la première heure, spécialiste du changement social de la Tunisie contemporaine. Ses travaux sur la formation des cadres supérieurs et sur la famille sont parmi les plus reconnus. Après avoir obtenu une licence de sociologie, elle restera en Tunisie plutôt que de continuer ses études supérieures en France comme la plupart de ses collègues. Elle entre en tant que chercheur dans un des premiers centres de recherche en sciences sociales tunisiens, le CERES (Centre d’études et de recherches économiques et sociales), peu après sa création par le secrétariat d’État à l’Éducation nationale en 1962. Elle soutient sa thèse en 1968 sous la direction de Georges Balandier, avec Jean Duvignaud et Jacques Berque comme membres du jury. Elle a vécu l’héritage colonial de l’enseignement français, le bilinguisme de l’ère bourguibienne, l’arabisation, la « massification » de l’Université dans les années 1980, la « professionnalisation » des sociologues à un moment de saturation des débouchés dans la fonction publique.
Son histoire appartient-elle à l’histoire tunisienne de la sociologie française ou, au contraire, à l’histoire française de la sociologie tunisienne ? Débat sans doute byzantin. La sociologie tunisienne, créée autour de l’Indépendance dans le giron des études philosophiques et marquée par des figures de la sociologie française, Gurvitch, Berque, Duvignaud, a été l’enjeu du paradoxe intellectuel du post-colonialisme : trouver la voie de l’émancipation en utilisant les armes forgées par la tradition intellectuelle française. En un sens, on retrouve la même question dans tous les pays colonisés par la France, notamment au Maghreb. Mais les conditions particulières de l’indépendance tunisienne, les hommes – et les femmes – acteurs de cette émancipation, les événements singuliers – comme la bataille de Bizerte – les singularités tunisiennes de l’arabisation, les spécificités du courant développementaliste et de la sociologie politique en général, font de cette sociologie tunisienne un cas particulier, distinct de ses voisins marocain et algérien. La Tunisie, par exemple, n’a pas connu le climat de violence et de peur qui a régné en Algérie dans les années 1990 et affecté le travail des « intellectuels », en particulier celui des chercheurs et des universitaires des sciences sociales, comme a pu le souligner Ali El-Kenz (1998).
La sociologie tunisienne a été particulièrement déterminée par le contexte historique de la décolonisation, qui a mis au premier plan l’analyse des conditions du développement et des obstacles à celui-ci (en matière d’industrialisation, d’éducation, de condition féminine ou de parenté). Mais cette sociologie a aussi été portée par les acteurs intellectuels qui ont infléchi son parcours : les élèves de Georges Gurvitch qui lui ont donné son tropisme politique, les disciples de G. Balandier ou de J. Duvignaud qui l’ont ancrée dans l’enquête de terrain, et aujourd’hui Lilia Ben Salem ou Dorra Mahfoudh qui veulent lui faire prendre le virage de la professionnalisation. L’arabisation qui, depuis les années 1970, occupe l’espace politique et culturel – voire spirituel – de la Tunisie, comme elle lie les pays du Maghreb à ceux du Proche et du Moyen-Orient, pose moins la question de la « sociologie arabe » que de la sociologie en arabe. Si la question de « l’impérialisme de l’universalité occidentale » pèse sur les débats de la sociologie tunisienne, c’est pour mieux reformuler, comme ailleurs, les conditions de sortie des grands paradigmes – marxistes ou fonctionnalistes – et consolider, avec Abdelkader Zghal, la notion de spécificité culturelle. La sociologie tunisienne est, au fond, à l’image de sa société, tendue entre tropisme francophone et identité arabe, contrôle autoritaire et liberté interstitielle de parole, égalitarisme et libéralisme, culture rurale et développement urbain.
Source: cairn.info